Licenciement en cas de handicap ou de force majeure médicale

Dans le cadre d’un récent arrêt de la Cour du Travail concernant le licenciement d’une travailleuse qui voulait reprendre le travail après le traitement de son cancer, le Dr Edelhart Kempeneers apporte quelques éclaircissements sur les notions de ‘discrimination’, de ‘handicap’ et d’‘aménagements raisonnables’, ainsi que sur les conséquences possibles de cet arrêt.
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preventFocus 08/2018
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Le dossier

Ci-dessous, la chronologie de ce dossier. Afin de protéger la vie privée de l’employeur et de l’employée, les noms ne sont pas mentionnés.
 
La travailleuse en question a commencé à travailler comme vendeuse en avril 2006. En novembre 2012, on lui diagnostique un lymphome. Son contrat de travail est suspendu pour cause de maladie. Après quelques semaines, le magasin engage une nouvelle vendeuse en remplacement.
21 mois plus tard, le médecin traitant et le médecin-conseil de la mutualité estiment qu’une reprise progressive du travail est possible. Le 14 août 2014, l’employée demande à son employeur de reprendre le travail à mi-temps à partir du 1er septembre. Cependant, l’employeur envoie le 26 août 2014 un courrier recommandé par l’entremise de son secrétariat social. Le contrat de travail est rompu avec paiement d’une indemnité de préavis de six mois et six semaines. Le formulaire C4 mentionne comme motif de chômage “défaut de travail adéquat de la part de ce travailleur”.
 
Dans une lettre en date du 9 septembre 2014, la travailleuse demande des précisions. L’employeur répond le 4 novembre 2014. Il pointe du doigt le recrutement d’une nouvelle collaboratrice, l’extension des tâches à accomplir, la boutique en ligne, les nouveaux produits et le logiciel de caisse et les programmes-cadres, ce qui nécessiterait une solide formation supplémentaire, ainsi que l’impossibilité, financièrement, d’employer deux personnes pour le même travail. L’organisation syndicale de la dame demande le 22 juin 2015 une adaptation de l’indemnité de préavis, dont l’employeur s’acquitte.
 
Le 6 août 2015, son conseil envoie une mise en demeure sous pli recommandé pour violation de la loi anti-discrimination, de la loi tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, de la protection contre le licenciement pour cause de maternité et des articles 8 et 9 de la CCT 109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement. Le 21 août 2015, la travailleuse saisit le tribunal du travail de Louvain, réclamant 45.000 euros de dommages et intérêts.
 
Le 27 juillet 2016, le juge déclare la demande recevable, mais non fondée. Il ne reconnaît pas l’existence d’un handicap. Trop peu d’éléments ont été avancés pour qu’une discrimination sur la base de l’état de santé actuel ou futur soit acceptée, car les ajustements liés à une reprise progressive du travail n’ont pas été traités de manière décisive. La protection légale liée au genre n’est pas d’application étant donné qu’il s’agit de deux femmes, et qu’aucune grossesse n’a été signalée à l’employeur. Le licenciement n’est pas manifestement déraisonnable puisqu’il est fondé sur le fonctionnement efficace de l’entreprise. La travailleuse doit payer 3.000 euros de frais de justice.
 
Le 30 septembre 2016, elle prend conseil auprès d’Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances. Le 12 octobre 2016, elle interjette appel devant la Cour du Travail de Bruxelles. Cet appel ne repose plus sur la discrimination fondée sur le sexe ou sur une violation de la protection de la maternité, mais uniquement sur la discrimination.

Cette fois, la dame obtient gain de cause. Le 20 février 2018, le juge estime que les conséquences permanentes d’un cancer peuvent être considérées comme un handicap. Ce qu’a invoqué le premier juge – le manque de résolution dans la demande de reprise progressive du travail – est non pertinent. L’employeur ne produit aucune preuve contraire pour réfuter la discrimination indirecte. Le tribunal condamne l’employeur pour violation de l’interdiction de discrimination fondée sur le handicap, pour violation de la même interdiction fondée sur un état de santé existant ou futur et pour licenciement manifestement déraisonnable. En vertu de l’article 18 §2, 2° de la loi anti-discrimination, l’employeur doit verser à son ex-travailleuse une indemnité de 12.443,03 euros brut.

Quand est-il question de discrimination?

Un employeur peut toujours résilier unilatéralement le contrat de travail, sauf si la loi l’interdit expressément. Cette interdiction expresse est décrite dans la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, aussi appelée loi anti-discrimination.
 
La discrimination ne nécessite pas d’action intentionnelle. Il peut y avoir discrimination sans que l’employeur ait l’intention de discriminer. Le caractère intentionnel ne joue donc aucun rôle.
Lorsque l’état de santé d’un employé est juridiquement considéré comme un handicap, la loi considère le refus de faire des aménagements raisonnables comme une discrimination.
 

Qu’est-ce que cela implique? Imaginons que l’employé se retrouve handicapé. Il n’est par conséquent plus en mesure d’exercer ses fonctions, ou l’organisation du travail devient impossible. L’employeur peut invoquer cet état de fait pour mettre un terme au contrat. À cet égard, la charge de la preuve incombe à l’employeur. Il doit démontrer que le licenciement est une mesure appropriée et nécessaire; qu’un aménagement raisonnable de la fonction ou du poste de travail n’offre donc pas d’alternative à ce licenciement.

Quand est-il question d’un handicap?

La loi anti-discrimination ne définit pas le handicap, mais s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, en particulier sur l’arrêt ‘Chacon Navas’ du 11 juillet 2006. Cet arrêt définit la notion de ‘handicap’ comme “une déficience résultant d’affections physiques, mentales ou psychologiques qui entravent à long terme la participation de la personne concernée à la vie professionnelle”. La loi n’exige pas qu’il y ait un certain pourcentage d’invalidité ni que le handicap soit officiellement reconnu.

D’un point de vue légal, de nombreuses limitations entrent donc en ligne de compte pour cette définition, à savoir:
·     les handicaps physiques ou sensoriels (malvoyants, utilisateurs de fauteuils roulants, malentendants);
·     les maladies chroniques ou dégénératives (pathologies articulaires, diabète, épilepsie, sclérose en plaques, syndrome de Südeck, rhumatismes en tous genres, etc.);
·     les déficiences mentales;
·     les problèmes psychologiques;
·     les difficultés d’apprentissage.
 
La décision plus récente ‘Ring et Skouboe Werge’ du 11 avril 2013 a en outre défini un handicap de manière encore plus large. Selon cet arrêt, les déficiences de longue durée telles que la fatigue ou les problèmes de concentration au travail après une chimiothérapie relèvent également de la notion de handicap, de sorte qu’il y a là aussi une obligation de réaliser des aménagements raisonnables.
Cette définition plus large a donc désormais été confirmée par la Cour du Travail de Bruxelles. Il s’agit là d’un précédent important dans la législation belge. Les nouveaux arrêts en tiendront assurément compte. 

Que sont les aménagements raisonnables?

En cas de handicap, l’employeur est tenu d’effectuer des aménagements raisonnables. C’est également le cas lors d’une réintégration après une maladie de longue durée.
Parmi les exemples d’aménagements raisonnables figurent des horaires de travail flexibles, des pauses différentes, du mobilier adapté, des aides techniques, un lieu de travail plus silencieux, l’autorisation pour un patient cancéreux de porter un couvre-chef, la suppression de certaines tâches, l’adaptation des activités, le télétravail, etc. 
 
On ne peut évidemment pas s’attendre à ce que l’employeur réalise des aménagements de ce type à n’importe quel prix. Le juge tiendra compte des circonstances, comme d’éventuelles difficultés pratiques, le contexte de l’organisation du travail, l’influence sur la situation de travail des collègues et la solidité financière de l’employeur.
Cependant, si nous examinons le cas évoqué ci-dessus, nous constatons que l’employeur a effectivement fourni un certain nombre d’arguments concrets: les tâches à accomplir ont été élargies avec la boutique en ligne, de nouveaux produits et un logiciel de caisse et des programmes-cadres pour lesquels une solide formation supplémentaire serait nécessaire. Une nouvelle vendeuse a en outre été recrutée. L’employeur invoque l’impossibilité financière d’employer deux personnes pour le même travail.
 
Pour déterminer si les aménagements pouvant être attendus sont raisonnables ou non, le juge a examiné une analyse des comptes annuels de l’employeur. Lorsqu’il s’avère que l’employeur est bénéficiaire, le juge estime qu’il ne peut être question charge déraisonnable pour l’employeur en ce qui concerne la réalisation d’aménagements pour son employé et que le licenciement ne peut donc pas être justifié par des considérations budgétaires ou économiques décisives.

Force majeure médicale

L’employeur peut parfois invoquer un cas de force majeure médicale. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la plus haute juridiction dans notre pays, une incapacité de travail permanence peut en effet constituer une situation de force majeure. Un licenciement pour force majeure est une mesure drastique, car cela signifie qu’il n’y a ni délai ni indemnité de préavis.
Depuis l’arrêté royal relatif à la réintégration des travailleurs malades de longue durée, le licenciement pour force majeure médicale ne peut plus avoir lieu qu’à l’issue du parcours complet de réintégration.
 
Le contrat de travail peut être résilié pour force majeure médicale dans les trois cas suivants:
·     si le conseiller en prévention-médecin du travail constate que le travailleur est en incapacité permanente de reprendre le travail convenu et qu’il n’est pas en mesure d’effectuer un travail adapté ou différent auprès de son employeur, et si ses possibilités de recours contre cette décision ont été épuisées;
·     si le conseiller en prévention-médecin du travail juge d’abord que l’employé est en incapacité permanente de reprendre le travail convenu, mais qu’il est en mesure d’effectuer un travail adapté ou différent, et si l’employeur justifie par la suite qu’il ne peut pas établir de plan de réintégration, car selon lui cela est techniquement ou objectivement impossible, ou ne peut raisonnablement pas être exigé pour des motifs bien fondés;
·     si l’employé n’est pas d’accord avec le plan de réintégration établi par son employeur après que le conseiller en prévention-médecin du travail l’a déclaré en incapacité permanente pour le travail convenu, mais qu’il est encore capable d’effectuer un travail adapté ou différent.

En cas de force majeure médicale, l’employeur doit donc non seulement apporter la preuve de l’incapacité de travail permanente de l’employé, mais aussi prouver que des aménagements raisonnables sont impossibles.
De plus, un travailleur licencié peut également invoquer ici la loi anti-discrimination si son affection peut juridiquement être considérée comme un handicap.

Conclusion

Avec sa définition plus large du handicap et son interprétation des aménagements raisonnables, le récent arrêt de la Cour du Travail de Bruxelles a créé un précédent important.
Une analyse correcte et approfondie des aménagements du travail possibles sera d’autant plus importante en cas de licenciement de travailleurs handicapés ou en cas de force majeure médicale après un parcours de réintégration. En effet, les employeurs devront démontrer qu’ils ne peuvent pas réaliser d’aménagements raisonnables pour continuer à employer ces personnes, faute de quoi ils risquent une condamnation pénale.
 
Source: Arrêt du 20 février 2018 de la Cour du travail de Bruxelles
 
À propos de l’auteur:
Edelhart Y. Kempeneers est un médecin spécialisé en médecine du travail. Il est actuellement directeur médical clients nationaux chez Attentia.